La noblesse est-elle soluble ?

Cela lui faisait tout drôle, à la poupée, de revenir dans cette partie du palais. Elle ne l'avait guère fréquenté depuis qu'elle ne portait plus les caducées, et la longue absence d'un héraut de Guyenne ne l'avait pas incité à y venir. Peut-être les choses changeraient-elles avec la nomination du Louvelle?

En tout cas, ce n'était pas par hasard qu'elle était venue, cette fois. Et un sourire apparût sur ses lèvres lorsqu'elle aperçut le senher Coulon devant le bureau du héraut. Accélérant autant que sa jambe boiteuse le lui permettait, elle vint le rejoindre.

Lo bonjorn senher Coulon! Je vois que vous n'avez pas encore commencé à vous entretenir avec Guyenne. Je vous avoue que j'en suis finalement soulagée, je craignais d'être en retard !

La voix du nouvel occupant transperça le bois de la porte :

Entrez !

La poupée sourit en se voyant si courtoisement accueillie.

Lo bon jorn à vous aussi senher Coulon! Et je vous en prie, c'est un grand plaisir pour moi d'être là. Que voulez-vous, c'est un défaut d'ancien héraut: dès qu'il s'agit de parler noblesse, je suis enthousiasmée. Et quand en plus il s'agit d'assister une personne pour laquelle j'ai de l'estime, le plaisir est double.

Elle laissa échapper un petit rire avant de pénétrer dans le bureau du héraut, si habituée à fréquenter son nouvel occupant qu'elle n'imagina pas une seule seconde qu'elle servait d'éclaireur au Coulon.

Lo bon jorn Guyenne! Nous avons besoin de vos lumières mon ami! Le senher Coulon souhaite se porter acquéreur d'une seigneurie vénale, il lui faut donc votre avis éclairé sur la procédure à suivre, et sur les terres disponibles parmi lesquelles il pourrait faire son choix.

La baronne de Lesparre et Julien Coulon pénétrèrent dans la pièce tandis que son locataire quittait son siège pour les saluer.

Mes respects duquessa. Messer Coulon. Prenez place je vous en prie, j'attendais votre visite.

Des documents dont on ne savait s'ils étaient rangés en pile ou en tas décoraient la table dont seul un minuscule carré vierge laissait comprendre qu'elle était faite en bois.

Pardonnez-moi pour le désordre, je ne suis ici que depuis quelques jours et tout est déjà en pagaille, c'est pour moi un mystère.
Ah, voilà le document que je cherchais.

Messer Coulon, vous êtes candidat à l'ennoblissement au titre d'une seigneurie dite vénale. Sa Grâce Mircha, dans sa grande bonté, a déposé votre dossier à l'assemblée nobiliaire et a demandé à ses barons d'examiner l'affaire. Après compilation des votes, après certification auprès de la prévôté que votre casier est bien vierge et après certification que vous êtes bien sujet Guyennois, j'ai le plaisir de vous informer que votre candidature est conforme à nos lois et qu'elle a été validée par l'assemblée nobiliaire.

En d'autres termes, l'affaire est déjà bien avancée et il ne nous reste qu'à définir, avec Sa Grâce, le choix du fief qui vous sera octroyé. Mais de manière moins formelle, il n'est pas rare que les impétrants eux-mêmes participent au choix de leur fief, tant que le régnant n'y est pas opposé et que cela reste entre nous. Une fois qu'il aura été convenu du fief, il me faudra le porter à l'attention de mes confrères hérauts pour m'assurer qu'il est conforme et n'est pas le doublon d'un blason existant. Ensuite, il vous faudra procéder à l'achat de votre fief dont les modalités restent à définir avec Sa Grâce et ses trésoriers. Enfin, la patente de votre ennoblissement sera contresignée par le Roi d'Armes et vous serez ennobli seigneur au cours d'une cérémonie d'hommage.

Des questions ?
Si vous n'en avez pas, parlons de votre fief et dites-moi tout d'abord si vous avez des préférences.

Coulon, qui suivait avec déférence la duquessa, vit apparaitre derrière une pile de documents divers, semblant monter jusqu'au plafond, le Butor tant redouté. Ses oreilles ne l'avaient pas trompés...

S'inclinant, comme de bien entendu, Coulon appris alors que sa demande avait été acceptée. Même pas un courrier de sa Grâce, même pas un mot. Un note même, il aurait pris, mais bon. L'important était la réponse, pas son chemin. l'Ours se garda dans un coin de tête la note d'écrire à la Duchesse afin de voir avec elle commet régler les détails : payements et tout le toutim...

Puis Coulon répondit au Hérault.

- Senher, voilà une question à laquelle je ne m'attendais pas. Quelle préférence pour un fief ? Je n'en ai absolument aucune idée. Je pensais que sa Grâce déciderai elle-même.
Si j'avais une préférence, j'aimerais bien un fief vallonné, dont les coteaux sont gorgés par le soleil, afin de pouvoir y planter mes vignes, et y cultiver mes champs. Avec de larges flancs si possible, afin que mes gens puissent apprécier les sublime dégradé de couleurs qu'offrent les paysages de Guyenne. Et aussi pour y organiser de belles chasses. Et si le fief avait une rivière pour y taquiner le goujon et le chevenne, et quelque forêt, alors mon plaisir y serait entier...

Réfléchissant plus de deux secondes, Coulon se rappela un fief qu'il avait auparavant vu, et qui lui semblait répondre aux critères dont il venait de parler.

- En fait, Senher, si vous permettez, effectivement, il y a un fief qui m'intéresse. Il s'agit du fief de Fargues, qui se trouve à proximité de Bordeaux. Pensez-vous cela possible ?

Se tournant alors vers la Duquessa :
- Mais peut-être Dona de Vergy aurait-elle quelques idées sur la question ?

Le petite duchesse avait pris le temps de la réflexion avant de répondre. C'est que le choix d'une terre était quelque chose de sérieux, il convenait donc de se montrer de bon conseil! Se repassant mentalement la liste des fiefs de Guyenne, ou du moins ceux dont elle se rappelait, elle hocha doucement la tête.

Il y a en effet une seigneurie de Fargues Saint Hilaire qui fut attribuée naguère à dame Claudicus... Je vous avoue cependant que j'ignore si elle correspond à vos choix mais cela peut aisément se vérifier, il suffit d'une petite excursion sur place. Sinon...

Elle tourna à demi la tête vers Archybald afin qu'il confirme ses propres souvenirs.

Je crois que la seigneurie de Langoiran pourrait également convenir. Si ma mémoire ne me joue pas de tour, le castel et le principal village du fief sont en bord de Garonne, et en plein pays de vignes?

Laissant la parole à ses interlocuteurs, le héraut ne la reprit que lorsqu'il y fut contraint, non sans se gratter la tignasse au préalable. C'était où Langoiran déjà ?

C'est exact, tout près de Bazas.

Merci les cartes qu'il avait balayées d'une main maladroite durant son court temps de réflexion.

Messer Coulon, ôtez-moi d'un doute, parlez-vous de la seigneurie Fargues Saint-Hilaire dont les armes sont deux chérubins ou de la seigneurie de Fargues près de Langon qui était autrefois octroyée à Shushi de Malemort ?

Le héraut hocha la tête et referma l'ouvrage qu'il avait ouvert auparavant d'un claquement sec.

Ce sera donc Fargues et sa forteresse, à mi-chemin entre Bazas et Bordeaux, dont les armes peuvent être décrites ainsi : « d'or à la fleur de lys d'azur, au canton dextre de sinople chargé d'un besant d'or ».